« MÉMOIRE EN FRICHES » / Corinne Bertelot
L’exposition photographique de Corinne Bertelot : « Mémoire en friches », sur les Frigos, clichés argentiques en noir et blanc et couleur, empreints d’un pur réalisme poétique. Pour un voyage dans le passé et la mémoire brute, urbaine et ferroviaire, de ce site historique si particulier …
Les Entrepôts Frigorifiques de la SNCF devenus in fine les « Frigos », le Silo à Grains, Mitjaville, les Grands Moulins de Paris, la Halle aux Farines, l’usine d’air comprimé la Sudac, la rue Watt aux mille courts-métrages fauchés mais inspirés, en bref, l’histoire photographique et la topologie mémorielle d’un quartier industriel, industrieux, pauvre, le « Quartier la Gare », aux portes de la banlieue oubliée de l’Est parisien d’Ivry (quasi la zone ! pas encore bobo-ïsée), avant le grand relookage urbanistique de « Seine Rive Gauche «, avec la BNF en cheval de Troie et figure de proue.
Toute une époque en voie de disparition, jusqu’à n’en plus garder que quelques vestiges qui persistent et signent, comme des îlots d’un passé révolu … C’était l’élégance aérienne de l’ancien Viaduc de Tolbiac, lançant ses structures métalliques ajourées au-dessus de la rue du même nom, avec la silhouette massive des Frigos en perspective de fond, impressionnant et vaguement sinistre par ciel tourmenté, son donjon incongru, ancien château d’eau fabriquant ses tonnes de glace pour un Paris sans réfrigérateur, les inénarrables bâtiments de Mitjaville, avec l’accueil de nuit d’Emmaüs, sa population de marginaux, ferrailleurs, roms, clochards (à l’époque, on les appelait comme ça, point de « SDF » comme cache-misère du politiquement correct), ses prolétaires du rail, ses artistes décalés en mal d’ailleurs et de locaux pas chers, de squat underground pour créer, faire de la musique et la fête, comme bon leur semblait, les rails à perte de vue, l’odeur du goudron des traverses de chemin de fer, les longs gémissements lugubres des freins des trains de marchandises, ponctués de temps à autres d’une corne de brume sortie tout droit d’une BD de Tardi ou d’un polar de Vautrin ; les grandes tablées dans la cour, à la tombée du jour, où l’on dînait et buvait en bonne compagnie, en voyant le soleil couchant plonger derrière la ligne d’horizon, une rareté à Paris, comme dans un western (tout ce no man’s land parfaitement improbable, anarchique, où la mixité n’était pas un programme politique mais une réalité sociale, où tout pouvait se passer : concerts et fêtes improvisées, piste de cirque équestre des Fratellini : les 10 ans des Frigos, un millésime qui a marqué les mémoires, avec troupe de chevaux, as de la voltige, acrobates, cracheurs de feu, etc.
Et chaque printemps, les abricotiers en fleur entre les Grands Moulins et les Frigos, leurs fruits cueillis chaque saison par les cheminots perchés sur les toits des wagons … ou par nous-mêmes, à qui serait le plus rapide ; les sempiternelles errances de chiens (dont Clarinette prenant son bain d’été dans les grandes mares d’eau de la cour), la lutte impitoyable pour la possession du royaume enchanté et vétuste des Voûtes (un jardin en friche transformé en paradis vert écolo), et toujours en toile de fond, la silhouette superbe à l’architecture altière des Grands Moulins, ses toits encore recouverts de la farine résiduelle de son activité nourricière de minoterie, où les pigeons se posaient en volée pour un banquet au crépuscule … Et tout autour, les friches ferroviaires, les friches ferroviaires, les friches ferroviaires à perte de vue, espaces urbains en jachère, niches de verdure à l’abandon, accueillant mauvaises herbes, furets, renards, chats, des milliers d’oiseaux et d’insectes, vivant ici leur vie libre, en compagnie de créateurs de tout poil, à l’aise dans cette zone frontalière aux confins de l’urbanisation, comme des poissons dans l’eau …
Isabel Bertelot, peintre aux Frigos et directrice artistique de l’Aiguillage galerie
L’ensemble de ses clichés vintage furent réalisés entre les années 89/96, la grande époque des Frigos, considérée comme « l’Age d’Or » Tirage noir & blanc sur papier d’art 90 x 60 cm, avec cadre, limité à 10 exemplaires et signés par l’artiste : 350 euros avec cadre (300 euros sans et 550 euros les 2)